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Filmosaure | September 30, 2020

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L’esquive (2004)

Gibet

Review Overview

Note
9

Repas de fête

Sortie (France) : 7 janvier 2004

Il y a deux sortes de gens : ceux qui ont eu le privilège d’aller au Festival de Cannes, et ceux qui devront attendre le 9 octobre pour voir La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche. Je fais partie des seconds et, plutôt que de trépigner pendant cinq mois, j’ai décidé d’aller faire un tour dans les films précédents du cinéaste. 

Quiconque s’intéresse de près ou de loin au septième art a déjà entendu l’expression « système Kechiche » pour désigner le dispositif du cinéaste éponyme : longs tournages, acteurs avec peu ou pas d’expérience, sessions d’improvisations filmées avec plusieurs caméras, montage plus que tout décisif puisqu’il doit tracer une ligne à travers une quantité de rushes exorbitante… Quiconque s’intéresse de près ou de loin à mes critiques filmosauriennes sait que c’est une proposition de cinéma qui me séduit plus que n’importe quelle autre. Avec une telle méthode, on peut difficilement produire un film ennuyeux. L’auteur sacré accepte que le tournage soit le moment non pas de l’adaptation du scénario, mais d’une remise en jeu de tout ce qui a été écrit, dialogues, situations, etc. L’improvisation induit la justesse, l’accident, la surprise, la rupture – la complexité en somme.

Avec L’Esquive, Kechiche suit à la lettre cette démarche devenue aujourd’hui habituelle (à cette époque, elle ne l’était pas encore puisqu’il ne s’agissait que de son second long-métrage). Naturellement, cette méthode influe sur la structure du film : L’Esquive est une addition de longues séquences (untel parle avec untel) entrecoupées par de courtes scènes transitoires (untel va vers untel). C’est logique puisque c’est dans les moments dialogués et pas dans les phases de déplacements en solitaire que l’improvisation peut se déployer. Cela dit, quand on compare L’Esquive aux autres films de Kechiche, on constate que cette alternance mécanique, alors que le dispositif de base est identique, est propre au premier. Dans La Graine et le Mulet, par exemple, on ne retrouve pas du tout ce schéma, et on peut notamment passer des dizaines de minutes à suivre les déplacements du personnage principal.

la graine et le mulet kechiche

Le graine et le mulet. Abdellatif Kechiche, 2007.

Cette distinction est cruciale : elle montre que Kechiche n’est pas qu’un capteur d’acteurs, un documentariste inavoué. L’auteur reprend ses droits à la post-production. Là où les films basés sur l’impro tels que Entre les murs (et par extension une partie des films de Laurent Cantet) ou Polisse (et par extension tous les films de Maïwenn) adoptent une forme qui privilégie l’anecdotique, le fragment, L’Esquive compose un récit très ferme qui renvoie évidemment, par une structure qu’on pourrait facilement assimiler à un découpage en actes et scènes, aux pièces de Marivaux que les personnages travaillent. On a une passion confuse, des adjuvants, des opposants, des confidents, et ça avance linéairement jusqu’à qu’on sache si la passion va se concrétiser ou non. Kechiche se fend même d’une pure scène de vaudeville lorsque Fathi décide que les protagonistes doivent dialoguer dans une voiture et que personne ne veut y entrer.

Je lisais il y a quelques jours un article qui rapprochait Haneke et Kechiche : ça ne fait absolument pas sens. Je dirais même qu’ils sont antagonistes. Si les deux, par leur carrure démiurgique, peuvent être assimilés à des chefs d’orchestre parfois trop arbitraires, l’un dirige un orchestre symphonique et l’autre un orchestre de jazz. Personnellement, dans L’Esquive, je ne vois pas la moindre trace de Haneke. En revanche, j’y retrouve assez nettement les marques de l’univers du Curb Your Enthusiasm de Larry David. Curb Your Enthusiasm (Larry et son nombril en VF) est une série américaine (2000-2011) dont chaque script est finement ciselé à la manière des plus belles screwball comedies, mais qui ne paraît jamais sur-écrite car les dialogues sont pour la plupart improvisés. Comme Larry David pour cette série, Kechiche d’abord construit une maison, ensuite y invite ses acteurs pour tout y saccager, et enfin reconstruit quelque chose avec ce qui reste et ce qui a été amené. Comme Curb Your Enthusiasm, L’Esquive apparaît comme le plus parfait des compromis entre la rigueur d’un récit classique et la spontanéité d’une captation documentaire de comédiens qui s’amusent.

l'esquive

Si L’Esquive a quelques lourdeurs, notamment dans ses passages les plus explicitement sociaux (l’irruption finale de policiers ultra-agressifs en tête), l’intelligence du propos général allège. Kechiche nous constitue ici une fable sur le langage, et c’est très beau de voir les Krimo, Lydia, Magalie, Fathi souffrir car ils n’arrivent pas à formuler ce qu’ils ont en eux et ne voient pas du tout que le texte marivaldien pourrait les aider en ce qu’il parle précisément de ce qu’ils sont en train de vivre.

À Marivaux qui affirme que l’amour et le hasard n’existent pas, Kechiche répond « oui mais » : si le déterminisme social ne lui fournit pas les mots nécessaires pour l’affirmer, Krimo qui s’entiche de Lydia, c’est bel et bien de l’amour et du hasard.

SYNOPSIS

Dans une cité HLM, Krimo, jeune homme timide et maladroit, tombe amoureux de Lydia, au grand dam de Magalie, son ex-copine. Pour s’approcher de Lydia, Krimo décide d’intégrer l’atelier théâtre du collège, qui met en scène cette année-là Le jeu de l’amour et du hasard de Marivaux.

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